Prologue
Le 5 octobre 2022
Üsküdar, Istanbul
Türkiye
La petite coupole turquoise de la fontaine d’ablutions en marbre avait gardé de son éclat malgré les quatre siècles qui séparaient le moment où elle fut achevée et celui où je la contemplais en me rendant à la prière du ikindi en ce doux mois d’octobre. Elle trônait là au milieu du passage où les hommes prenaient fidèlement leurs ablutions, que leurs mains se colorent d’une légère teinte mauve lorsqu’il faisait froid ou qu’elles soient déjà moites de la sueur d’une journée chaude d’été comme en connaissait si souvent Istanbul, peu importe, ils se succédaient sans interruption dans ce rituel sacré.
Cette mosquée m’enivre de son histoire. Je ne crois pas avoir trouvé d’autres endroits à Istanbul qui m’enchantent plus encore que cette mosquée si chère à mon cœur. Peut-être aussi suis-je sensible à la personne en l’honneur de qui elle a été érigée : Mihrimah était la fille de Roxelane, la si célèbre concubine du grand Sultan Suleyman, à qui elle aurait fait perdre la tête.
Qu’on l’admire ou qu’on la maudisse, personne n’oserait néanmoins nier l’intelligence dont elle a fait preuve tout au long de sa vie et dont a largement hérité sa fille. Plus je me plongeais dans l’étude de la vie de Mihrimah plus j’y trouvais là le modèle d’une femme forte et brave devant le cours que prit son destin.
C’est dans ce quartier d’Istanbul que j’aimais me rendre tous les jours, et plus particulièrement juste derrière la mosquée Mihrimah, se trouvait une petite échoppe qui servait de délicieuses parts de gâteaux, accompagnées d’un café turc ou d’un thé noir, pour quelques sous seulement. Les propriétaires de la boutique ne me questionnaient jamais et acceptaient que j’y passe des heures entières à travailler. Je ne levais les yeux de l’écran de mon ordinateur que pour commander un autre thé aromatisé au clou de girofle ou une énième part de cake au citron aux graines de pavot. Elif et Ömer n’étaient pas ce genre de personnages aux manières intrusives qui estiment que puisque vous restiez travailler dans leur café, ils obtenaient presque automatiquement le droit d’en savoir plus sur vous et votre vie. Bien au contraire, ils faisaient de leur discrétion un point d’honneur.